Première fois que j'écris ici, mais cela fait des semaines que je vous lis. Vous m'avez apporté de la force, et une certaine chaleur.
Nous avons passé l'épreuve de l'IMG, il y a une semaine exactement. Je tiens à vous partager notre histoire, pour accompagner et soutenir celles et ceux qui vivent ou ont vécu la même chose ; pour découvrir vos histoires à vous, avoir vos conseils, lire vos retours... et aussi parce qu'écrire fait du bien.
Cette toute première grossesse commence le 16 juin. Je suis très surveillée. D'abords pour valider qu'il ne s'agit pas d'une récidive de GEU avec des échographies et prises de sang hebdomadaires. Puis, suite à la découverte d'une clarté nucale de 5 mm à l'échographie du T1.
Depuis six mois, nous vivons les montagnes russes de l'émotion. Nous sommes passés par des phases de doutes, suivies de joies immenses, de profondes déceptions ou de peurs... Mais de façon générale, même si notre cerveau nous protège toujours d'une façon ou d'une autre, nous avions choisi de vivre cette période magique à fond, et de la remplir d'espoir.
Mon été s'est bien passé, j'ai le sentiment d'avoir plus ou moins dormi pendant deux mois. Sieste, bonheur, projets... La GEU est écartée. On se projette à fond. On l'annonce à tout le monde : amis, famille, je nous vois encore partager cette nouvelle avec tellement de joie.
Lors de l'échographie T1, fin août, tout bascule. On nous annonce une clarté nucale trop épaisse, et donc une grande chance de trisomie. Une chance sur trois environ. On voit très bien la nuque à l'échographie, c'est choquant... La gynécologue nous conseille de "ne pas trop nous attacher" car même si la trisomie revient négative, notre bébé a de fortes chances de développer des malformations. Puis, elle nous dit que c'est une petite fille. Je suis heureuse une fraction de seconde. Je l'avais déjà deviné à l'écran de toute façon... Une petite fille, le rêve de mon conjoint ! Amour, surprise, colère, incompréhension, tristesse... tout est mêlé. Assis dans la voiture, dans le silence, on a mis longtemps à quitter le parking. Et on n'a pas pipé mot du trajet retour.
Une fois à la maison, la tristesse et l'inquiétude nous prend. On annule les plans des prochaines semaines, on comprend que tout a basculé... Le noir, l'attente, et l'angoisse. Jusqu'à la biopsie du placenta, prévue le vendredi matin. On n'arrive pas à travailler, ni à parler d'autre chose... On reste collé tous les deux. On passe des heures, des jours et des nuits à lire sur la clarté nucale, à traduire des études allemandes, américaines... datant de plus de 10 ans, pour trouver des chiffres. On rassemble toutes les thèses étudiantes qui existent le sujet des malformations fœtales. On fait des arbres de probabilité, des schémas, des listes de questions. Comme les médecins n'aiment pas les statistiques, nous voulons les trouver nous-mêmes. Écrire, comparer les données, obtenir des proportions... Tout faire pour mettre un chiffre sur nos chances d'avoir un bébé en bonne santé... Dans l'inconnu, ce sont les seules informations qui nous permettent de rationaliser, de calmer le débat, et de s'aligner autour d'un éventuel espoir...
Dans ma tête résonne "IVG maintenant ou risque d'IMG plus tard". En boucle.
Le 29 août, c'est le grand jour. La biopsie du placenta a été très douloureuse, faite par un praticien condescendant, qui m'a assuré que c'était "comme une prise de sang". Avec une aiguille de 15 cm, munie d'une pince au bout, pour aller chercher un morceau du placenta... J'étais donc "la seule femme en trois ans, à avoir eu mal lors de cette intervention dans son cabinet". Un très mauvais souvenir, mais aujourd'hui, avec le recul, je me dis que c'était une goutte d'eau dans l'océan de notre galère.
C'est quand même à ce moment-là qu'on a choisi de changer d'équipe médicale, pour choisir une spécialiste en détection des maladies fœtales beaucoup plus humaine, communicante et compréhensive. Et je recommande à toute personne traversant un parcours complexe de prendre le temps de choisir son équipe médicale : médecin, gynécologue, spécialiste en détection, cardiopathe, généticien... Leurs mots, leurs comportements, leur patience, pèsent lourd dans nos ressentis ; et leur transparence impacte vraiment notre compréhension des infos médicales. Je suis sur Marseille, si besoin, je peux vous partager nos contacts.
Une fois cette épreuve passée, la balle est dans le camp du laboratoire. Nous nous forçons à sortir, à revoir du monde, à partager notre situation. Certains câlins me font du bien, mais certains mots me blessent. Même avec toute la compassion du monde, notre entourage ne pouvait rien pour moi. J'étais si impuissante et si vulnérable, qu'aucune réaction n'était la bonne. Je ressens qu'un décalage se crée avec mon conjoint. Nous sommes fusionnels, nous parlons énormément, mais à ce moment-là, nous commençons à vivre les choses de façon différente. Et c'est normal...
Ma meilleure amie m'annonce sa grossesse, qui a commencé 20 jours après la mienne. Je contiens mes larmes, je me laisse prendre par la joie de cette nouvelle incroyable, et par l'espoir qu'on vive ça ensemble, comme on l'a toujours voulu.
En une semaine, les premiers résultats tombent (FISH) : la trisomie est écartée. On souffle un bon coup. Mais on garde en tête ces fameux 30% de chances que notre fille ait une maladie grave : malformations, maladies génétiques ou autres.
À ce moment-là, je suis à 15SA. Les médecins nous préviennent : les résultats sont OK pour le moment. Les échographies ne révèlent rien. Mais à 15SA il est impossible d'écarter tous les risques de malformations. C'est seulement à la 22SA qu'on y verra "plus clair". Quand notre fille aura suffisamment grandi. Cela nous semble si loin... inattegniable dans ces conditions de stress.
L'idée de l'IVG fait son chemin. Pour pousser le curseur jusqu'au bout, on prend rendez-vous à l'hôpital, on choisit la date, je passe les rendez-vous psy et anesthésiste... Je fonds en larmes à chaque fois. Ces rencontres me renvoient à l'idée que je ne veux pas prendre cette décision avant d'être sûre et certaine que mon bébé est malade. Et si elle allait bien ? Et si la clarté nucale était un hasard ? Celle-ci n'apparaît plus aux échographies suivantes, et si tout était rentré dans l'ordre ?
Le lundi 22 septembre, on prend la décision de continuer l'aventure. Et je la sens bouger dans mon ventre pour la première fois. Je sais que c'est elle. Nous avons le sourire, nous choisissons l'espoir. On ne se présente pas au rendez-vous d'IVG. Même si l'éventualité de vivre une IMG plus tard me terrorise, je suis heureuse et apaisée de faire ce choix.
Le lendemain, nous recevons les résultats de l'ACPA, deuxième partie des résultats suite à la biopsie : tout est OK. Pas de chromosomes cassés, ni abimés. Tout va bien. Le sur-lendemain, le rendez-vous avec le cardiopathe se déroule bien. Son cœur est OK, et il a quasiment fini de se former. Billie va bien. On révèle son prénom. Elle s'appelle Billie. On le hurle sur tous les toits.
Toutes les deux semaines, nous faisons une échographie avec notre spécialiste en détections des malformations fœtales. Plus le temps passe, plus on s'attache à Billie. Elle bouge beaucoup, mon corps la porte très bien. Je reprends le sport, on respire. La famille se détend, les amis aussi. Tout le monde s'autorise à y croire et ça nous fait beaucoup de bien. Je profite enfin de ma grossesse, je regarde mon corps changer doucement, je l'accepte, je suis bien. On s'autorise à commencer la chambre de Billie, à monter son lit, à réfléchir à l'aménagement. On trépigne d'impatience. J'ai 40 paniers Vinted en attente. En attente, parce qu'on se détend, mais on n'oublie pas tout : on meuble, on remplit l'agenda, on occupe le temps, on voyage... Mais, au fond, on est tous les deux stressés et impatients de passer l'écho du T2, celle de la 22SA. La plus importante.
Entre temps, nous revoyons le cardiopathe pour une visite de contrôle. L'échographie dure à peine 15 minutes, on parle de la pluie et du beau temps. Mais il détecte quand même une Communication Inter Ventriculaire (CIV). Il nous dit que c'est la malformation cardiaque la plus répandue, que ça a peu d'importance, car bénigne dans 99% des cas. On sait qu'on rouvre "une boîte à problèmes" mais le médecin a l'air tellement détendu qu'on ne stresse pas.
Il nous propose de lancer un "exome", un test ADN pour valider que Billie n'a pas de maladie génétique, en lien avec la CIV. On accepte. La demande passe immédiatement en commission, et est acceptée. Nous rencontrons notre généticienne pour la première fois, juste avant de rejoindre des copains en week-end. Elle aussi est rassurante : quasiment aucune chance qu'on trouve une maladie génétique. Mais "il vaut mieux aller jusqu'au bout des choses". On est positif en expliquant la situation à nos amis. On en a marre de créer du souci, de traîner cette épée de Damoclès partout. On s'autorise la légèreté.
Le jour de l'écho T2, le vendredi 7 novembre, on se serre les coudes et on y va heureux. L'échographie dure plus d'une heure. Nous passons tous ses organes un à un. Et Billie est parfaite. Elle nous fait rire avec ses positions inattendues. Encore une fois, plus de peur que de mal, on sort du cabinet en sautillant dans la rue. On rassure notre entourage. "Une fois cette échographie passée, on peut se dire que les chances de repérer une malformation grave sont vraiment diminuées". On fait péter "le champagne". Dans nos têtes, on passe de 30% à 10% de chances d'avoir un problème. On est hyper heureux. Plus que jamais. On s'autorise enfin à se projeter sans limite, à l'imaginer avec nous dans quelques mois. On passe le week-end à ne penser qu'à elle.
Mais lundi 10 novembre, juste après ce week-end si doux et si heureux. Douche froide.
La généticienne appelle. Le laboratoire a trouvé quelque chose dans son ADN. Avec 15 jours d'avance. On doit venir en urgence, pas d'annonce au téléphone. Quand elle raccroche, je suis en colère, je crie, je m'énerve, je fais les cents pas, je me défends contre cette attaque. Je suis dans le déni. Je ne veux pas voir la vérité. Je m'en fous de ce qu'ils ont trouvé, je garde ma fille. Personne ne me l'enleverra. Elle continuera à bien grandir dans mon ventre, et on verra quand elle sera là/ Quand elle sera née, on réglera le problème. On s'en fou. On aurait même pas du faire ce test à la con.
Mais une heure après, nous sommes dans son bureau. Et la vérité me rattrape. Elle nous explique droit dans les yeux que Billie a une maladie génétique incurrable, rare et handicapante. Une maladie qui coïncide avec les signaux d'appels : la clarté nucale, et la CIV. Elle met un mot dessus : le Syndrôme de Sotos. On avait lu beaucoup sur le Syndrôme de Turner, de Di George, de Noonan... Mais jamais sur le Syndrôme de Sotos. 1 chance sur 14.000.
À ce moment-là, par manque de connaissance, la généticienne nous laisse un peu dans le flou. Et notre gynécologue nous parle d'une grande variabilité d'un enfant à l'autre... Le handicap est visible physiquement, OK. Cela entraîne un retard de développement neurologique, OK. Ce sont des enfants qui apprennent lentemement, mais qui ont des chances d'avoir une vie "normale". OK. OK. OK.
Nous rentrons à la maison bouche-bée. Comment peut-elle couver des malformations, mais être toujours aussi parfaite à l'image ? Comment peut-on être sûrs à 100%, alors que nous nageons dans l'inconnu depuis 6 mois ? Pourquoi maintenant ? Est-ce que c'est vraiment grave ? Mon conjoint réalise très vite. Mais moi, mon cerveau fait barrage. Il me protège, encore un peu. On lit sur ce Syndrôme, les mots sont ambivalants, ils veulent tout et rien dire. Des troubles neurologiques de "légers" à "modérés" - ça veut dire quoi ? Pour en savoir plus, j'appelle une association, l'association Éveil. Nous tombons sur une maman d'enfant porteur de cette maladie. Une maman incroyable, qui nous impressionne, sourire au lèvres, résiliente et pleine d'amour pour son fils. Mais dont le témoignage ancre certaines images très concrêtes. Des images de combat, d'échecs, de douleurs, de bataille, de souffrance et d'injustice.
La variabilité des cas, les différents niveaux de handicaps, cela suffit à faire vivre un mini espoir en moi. Mon conjoint est beaucoup plus pessimiste. Moi j'ai toujours envie d'y croire. On nous propose une rencontre avec une neuro pédiatre, qui suit plusieurs enfants atteint du Syndrôme de Sotos. J'attends ce moment avec impatience. Je sais qu'elle ne mettra pas de forme, et qu'elle parlera "scientifique". Et cette étape a été absolument essentielle dans mon cheminement. Si vous avez besoin d'informations objectives, médicales, sur d'une maladie rare, les neuro ped sont les meilleures interlocuteurs.
En 30 minutes, pleine de justesse, elle met les points sur les i. Troubles neurologiques sévères, gigantisme, dystrophie du visage, hypotomie, autisme, fortes scollioses, un apprentissage de la parole/lecture/marche tardif (autour de 6 ans en moyenne), ce qui mène généralement à l'exclusion sociale, à un parcours scolaire complexe, même en établissement spécialisé, et avec peu de chances d'autonomie à l'âge adulte.
Cela nous ramène tous les deux à une "promesse" qu'on s'est faite il y a longtemps : si un jour on veut des enfants, et si un jour on est face à ce choix, on choisira d'épargner une vie de handicap à notre enfant. On choisira d'en souffrir nous, pour ne pas qu'il ou elle souffre.
Je comprends que c'est fini. Je sens l'écart se creuser encore un peu plus avec mon conjoint. Lui est presque déjà soulagé. Moi je sens Billie bouger 150 fois par jour, je me réveille avec elle, je m'endors avec elle, je choisis mes aliments en fonction de ses besoins, et je bois bien mes 2L d'eau pour ne pas qu'elle manque. Je réduis mon rythme de marche, quand je la sens changer de position dans mon ventre. J'accélère quand je sens qu'elle est OK. Je m'habille selon mon ventre, je vis mon ventre, je suis dans mon ventre avec elle. Tous les jours, toutes les minutes. Je ne comprends pas du tout ce nouveau monde où je dois me détacher de ma fille, où je dois signer son arrêt de mort. J'essaie, mais je ne le comprends pas. Pourtant je sais que cette décision est aussi la mienne. Mais je n'arrive à rapprocher les deux : ma fille vs la maladie. Ce sont deux mondes qui cohabitent dans ma tête. Mais qui ne se rejoignent pas.
J'ai conscience que les hormones n'aident pas. J'ai consicence de faire "le bon choix" pour notre famille, pour nous, pour elle.
Tout va vite : la demande d'IMG, la commission médicale, les rendez-vous, et bam : la date de l'IMG. Je pose bêtement la question "Est-ce qu'on a une date un peu plus tard ?" mais on me fait comprendre, à juste titre, que si je suis sûre de ma décision, cette situation doit s'arrêter. Je réalise petit à petit. On est le jeudi 14 novembre, et le lundi 17 novembre, le coeur de ma fille va s'arrêter de battre. À ce moment)là, j'ai décidé de profiter de chaque minute, même si c'est un peu suicidaire. De lui parler, de lui expliquer, de lui demander pardon, de lui rééxpliquer, de me le dire à moi-même. Il me reste 3 jours, et je ne veux râter aucun moment "avec elle". Parce que c'est seulement ce à quoi j'ai le droit. Alors je veux tout prendre.
Aujourd'hui, une semaine après l'IMG, je me sens vide. Vide de sens, vide de vie, vide tout court. Je me sens triste, comme je n'ai jamais été triste avant. Ce qui me trouble le plus, c'est le manque physique, le manque viscérale de ma Billie. Ses mouvement dans mon ventre, mais surtout le manque de son corps, le manque de son visage. Nous avons voulu la rencontrer après l'accouchement. À 24 SA, elle était extrêment mignonne. Elle était toute chaude et toute douce. Les traits détendus, avec ses petits mains de bébé et son expression d'ange. Je me souviens de la sensation de la serrer dans mes bras, comme si j'étais de nouveau entière. Comme si j'avais enfin repris ce qu'on avait essayer de me voler. J'avais envie de la protéger, de la nourir. J'ai eu beaucoup de mal à trouver le moment pour la rendre.
Aujourd'hui, je me réveille paniquée en la cherchant. Je me réveille heureuse à l'idée d'un premier week-end avec elle. Je prends ma douche en vitesse comme si elle allait se réveiller... Et quand je réalise, j'ai le sentiment d'avoir perdu le plus important. Alors que quand je regarde autour de moi, mon conjoint est d'un soutien incroyable (et je l'aime tellement), ma famille est très présente (même si cela m'est encore quasi impossible d'en parler de vive-voix). Nous sommes bien entourés. Mais rien n'y fait. J'ai l'impression d'être inconsolable. Que rien ne pourra me réparer, combler ce manque, remplir ce trou dans mon ventre. Personne d'autre que Billie.
Et pourtant, je n'ai aucun regret. Ni d'avoir vécu cette aventure jusqu'au bout, ni d'avoir fait tous ces choix.
Je pense que perdre son bébé, son enfant, est l'épreuve la plus compliquée dans la vie d'une femme. Mais nous sommes tellement fortes. Je sais que nous allons nous en sortir.
Ce jour-là, à l'hopital, il y avait une autre IMG. Juste après moi. J'avais envie de traverser les murs pour aller lui dire "tu vas y arriver", la serrer dans mes bras, partager avec elle ma force. Ce soir, je me rends compte que j'ai surtout écrit pour me libérer, mais j'espère que ce message pourra aussi réconforter, accompagner et apporter des informations.
Tout passe. Ça me semble encore loin pour moi, mais j'y crois. Le temps répare. Après la pluie, le soleil.
Force à nous
Ophélie