En sortir ensemble
Posté : 09 février 2023, 09:57
Bonjour,
Je m'appelle Rémi, j'ai 44 ans et suis papa d'un petit garçon de 10 ans, issu d'une précédente union.
Ma conjointe, âgée de 41 ans, est enceinte pour la première fois. C'est une femme d'une infinie douceur, empathique et généreuse.
Toutes les personnes qui la rencontrent le disent : "ta chérie, on ne peut que l'aimer."
Et comment ! C'est vraiment une perle, c'est une chance inouïe de partager son quotidien. Et je tiens à elle plus que tout.
Hélas, une p*tain de clarté nucale à 4.2mm est venue ternir notre belle histoire. RDV pris 10 jours plus tard pour une biopsie du trophoblaste.
Le couperet est tombé, en même temps que nous apprenions le sexe de notre enfant : c'est une fille atteinte d'une T18 de forme complète.
RDV avec une généticienne, qui nous expose la suite du programme, de façon très factuelle. La demande d'IMG est acceptée et un RDV nous est proposé. Et là je sens que ma conjointe veut gagner du temps. "On ne peut prendre une telle décision aussi rapidement, il faut qu'on soit sûr". Clarté nucale + biopsie du trophoblaste, la généticienne nous indique que les éléments médicaux sont là, que le diagnostic est hélas déjà définitif.
Nous avions lu sur un forum que dans certains cas, peut-être, seul le placenta pouvait être atteint. La généticienne nous indique que nous n'étions pas dans un tel cas, mais aussi qu'elle "n'était pas Dieu" et que si nous voulions une double certitude, nous pouvions l'obtenir en réalisant une amniocentèse.
Je la suis sur ce chemin. Et je comprends bien sûr la démarche. Même si ni l'un ni l'autre ne sommes dupes...
La certitude arrive dès le lendemain de l'examen. C'était il y a 10 jours.
Et, depuis, je tente en vain de convaincre ma conjointe, dont je sens le discours progressivement changer, de programmer cette IMG.
A la noirceur de mes pensées (gavé que je suis de toutes les images, témoignages de parents ayant choisi de garder l'enfant), ma chérie m'oppose un optimisme à toute épreuve et m'indique qu'elle a besoin de temps. Elle m'envoie cette vidéo qui résume au final l'ensemble de sa pensée : https://www.youtube.com/watch?v=7t7DFEVm-DU
Comment ne pas aimer une fille qui pense cela ? C'est magnifique.
L'optimisme, c'est bien sûr la seule sagesse qui soit. Mais là, dans l'annonce d'un diagnostic terrible, où la mort est inéluctable ("enfant non viable"), où placer le bon curseur ?
Dans l'acceptation de chaque jour qui passe ou dans l'évitement ?
Ne rien faire, ne pas entrevoir l'après, ce n'est pas, à mon sens, de l'optimisme. C'est une forme de fatalisme. Et je ne peux m'y résoudre.
Si l'enfant venait à s'éteindre dans un souffle, alors peut-être pourrions-nous dire que nous avons joué notre rôle jusqu'au bout. Cela en deviendrait presque poétique. Mais si cette respiration devait se transformer en lente agonie ? Qui nous viendrait en aide ? Comment trouverions-nous la force ? Nous serions simplement démunis et la culpabilité serait de nouveau là...
Pire encore, que se passerait'il si, comme dans 5 à 10% des cas, l'enfant devait survivre et que nous devions hypothéquer notre vie des années durant ?
Qui est inconscient ? Qui est égoïste ? Qui est victime ?
J'ai peur du handicap, j'ai le trouillomètre à zéro. De ce que j'en lis, c'est habituellement la femme qui vit cet effroi et a envie qu'on la libère, très rapidement, de ce fœtus qui est devenu une tumeur. Pas ma conjointe. Elle veut patienter encore mais ne me donne aucune indication de date. "La semaine prochaine nous pourrons aller là, pourrons faire ceci" .. Tout s'est arrêté dans ma tête. Mais elle, elle continue, vaillamment, de vivre.
Je suis bluffé. Sincèrement bluffé.
Elle attend un signe, une profonde conviction qui la pousserait à passer à l'acte.
Ce n'est pas tant la peur de l'épreuve. Elle est forte, courageuse.
C'est juste qu'il n'y a pas, pour l'heure, de conviction profonde.
Ma peine et mes suppliques n'y suffisent pas.
J'en viens à penser que cette conviction ne viendra jamais et que l'on part tout droit dans le mur.
Comment dois-je réagir ? Comment doit-elle réagir ?
Si c'est une concession que je demande, c'est la plus dure qui soit.
Pour autant, je ne me vois pas dire à mon fils : "Voici ta sœur mais ne t'attache pas trop hein car elle ne va pas vivre longtemps."
Pourquoi ajouter de la souffrance à la souffrance ?
Accepter par amour d'aller au bout de la grossesse est au delà de mes forces. Je n'en ai pas les épaules. Et, à la première souffrance de ma fille, je me retournerai contre tous ceux qui m'auraient conseillé d'aller au bout de la grossesse. Pas mieux.
Cette IMG est pour moi un non choix. Un choix qu'on ne devrait jamais avoir à prendre, c'est vrai. Une terrible injustice, c'est vrai. Mais c'est un choix qui s'impose. Et il faut savoir sauter du train avant qu'il ne soit trop tard.
Je vois ces couples qui vont au bout de l'expérience, qui choisissent de garder l'enfant, et qu'on trouve "lumineux". Je ne vois la lumière que dans l'après IMG.
Je ne suis pas d'un naturel pessimiste (bien qu'au vu de tout ce que j'écris, on pourrait le croire). Il faut la croquer cette vie, et pas qu'un peu. Conjuguer au présent des verbes d'action. C'est tout ce qui m'anime. Mais pas en célébrant la mort, en la faisant ainsi durer... C'est la vie qu'il faut célébrer.
Nous en avons parlé des heures et des heures durant. Elle est consciente de tout. Mais la réalité que j'essaye de lui montrer ne l'atteint pas.
Je la rejoins sur ce point : pourquoi avoir peur d'une réalité qui n'est alimentée que par le pire ?
Mais le pire est toujours là...
Poser le rubik's cube. OK.
Mais combien de temps ?
Le temps qu'il faudra pour que cela murisse.
C'est invivable.
C'est quelqu'un de fort, très fort, qui intériorise beaucoup. Pour autant, elle me dit souhaiter que "dieu la prenne" et en finir. Et de ne pas me fier aux apparences et qu'elle souffre aussi. Je n'en doute pas.
Je ne peux pas laisser dire ça. Pas quand on aime.
Elle me dit que peut-être elle se réveillera dans un mois et qu'elle réalisera, avec effroi, qu'elle est en train de faire une énorme bêtise.
Peut-être qu'elle se réveillera. Mais peut-être pas.
Comment l'effroi pourrait venir après, alors que la phase aiguë, c'est maintenant ?
Je veux faire confiance. Mais pas au prix de me dire que j'aurais du tout tenter et qu'il est hélas trop tard.
Son entourage est partagé. Elle a demandé aux siens que le sujet ne soit pas tout le temps abordé.
Sa mère pense qu'il faut laisser partir ce bébé, ses sœurs la soutiennent avec beaucoup d'amour mais elles acceptent, j'ai l'impression, l'état de fait.
Mais peut-être me trompais-je. C'est surtout un grand désarroi. Personne n'est préparé à cela. Et on ne peut en vouloir à personne.
Mais il faut avancer. Et là on avance pas.
De mon côté j'espère une fausse couche. Je m'en viens à songer à l'infanticide. Ce n'est pas possible. Ca n'a rien d'une grossesse normale.
Aimer, pour moi, c'est savoir aussi pointer une direction, savoir bousculer quand l'autre se sent perdu.
Bien sûr que c'est une décision très compliquée, lourde de sens et qu'on ne devrait jamais avoir à prendre. Je ne la souhaiterais pas à mon pire ennemi. Mais c'est une décision qui doit être prise sans tarder trop, avant que tout ne se complique davantage. On a du temps, mais pas tant que ça...
On a pas le droit de continuer à s'infliger tout ça.
Je ne tiens pas à avoir raison à tout prix. Mais j'en suis sûr à 1000%, cette IMG est une décision d'amour.
Et uniquement cela.
Sentant que mes mots n'y faisaient rien, j'ai voulu réaliser hier l'ultime électro-choc.
J'ai mis mon amour sur la table et l'ai quittée.
C'est une posture, pour qu'elle se rende compte que ce non-choix ne doit pas durer. Ajouter du désarroi au désarroi, par amour. C'est du grand n'importe quoi.
C'est nul, certainement. Peut-être ai-je "déclenché" trop tôt ? Peut-être que ce n'était pas comme cela qu'il fallait faire.
J'espère bien sûr que cela ne sera pas définitif, que notre amour en sortira vainqueur.
Car aujourd'hui je suis désespéré. Et n'ai finalement rien résolu.
Foutue trisomie.
Merci pour votre accueil et vos conseils.
Rémi
Je m'appelle Rémi, j'ai 44 ans et suis papa d'un petit garçon de 10 ans, issu d'une précédente union.
Ma conjointe, âgée de 41 ans, est enceinte pour la première fois. C'est une femme d'une infinie douceur, empathique et généreuse.
Toutes les personnes qui la rencontrent le disent : "ta chérie, on ne peut que l'aimer."
Et comment ! C'est vraiment une perle, c'est une chance inouïe de partager son quotidien. Et je tiens à elle plus que tout.
Hélas, une p*tain de clarté nucale à 4.2mm est venue ternir notre belle histoire. RDV pris 10 jours plus tard pour une biopsie du trophoblaste.
Le couperet est tombé, en même temps que nous apprenions le sexe de notre enfant : c'est une fille atteinte d'une T18 de forme complète.
RDV avec une généticienne, qui nous expose la suite du programme, de façon très factuelle. La demande d'IMG est acceptée et un RDV nous est proposé. Et là je sens que ma conjointe veut gagner du temps. "On ne peut prendre une telle décision aussi rapidement, il faut qu'on soit sûr". Clarté nucale + biopsie du trophoblaste, la généticienne nous indique que les éléments médicaux sont là, que le diagnostic est hélas déjà définitif.
Nous avions lu sur un forum que dans certains cas, peut-être, seul le placenta pouvait être atteint. La généticienne nous indique que nous n'étions pas dans un tel cas, mais aussi qu'elle "n'était pas Dieu" et que si nous voulions une double certitude, nous pouvions l'obtenir en réalisant une amniocentèse.
Je la suis sur ce chemin. Et je comprends bien sûr la démarche. Même si ni l'un ni l'autre ne sommes dupes...
La certitude arrive dès le lendemain de l'examen. C'était il y a 10 jours.
Et, depuis, je tente en vain de convaincre ma conjointe, dont je sens le discours progressivement changer, de programmer cette IMG.
A la noirceur de mes pensées (gavé que je suis de toutes les images, témoignages de parents ayant choisi de garder l'enfant), ma chérie m'oppose un optimisme à toute épreuve et m'indique qu'elle a besoin de temps. Elle m'envoie cette vidéo qui résume au final l'ensemble de sa pensée : https://www.youtube.com/watch?v=7t7DFEVm-DU
Comment ne pas aimer une fille qui pense cela ? C'est magnifique.
L'optimisme, c'est bien sûr la seule sagesse qui soit. Mais là, dans l'annonce d'un diagnostic terrible, où la mort est inéluctable ("enfant non viable"), où placer le bon curseur ?
Dans l'acceptation de chaque jour qui passe ou dans l'évitement ?
Ne rien faire, ne pas entrevoir l'après, ce n'est pas, à mon sens, de l'optimisme. C'est une forme de fatalisme. Et je ne peux m'y résoudre.
Si l'enfant venait à s'éteindre dans un souffle, alors peut-être pourrions-nous dire que nous avons joué notre rôle jusqu'au bout. Cela en deviendrait presque poétique. Mais si cette respiration devait se transformer en lente agonie ? Qui nous viendrait en aide ? Comment trouverions-nous la force ? Nous serions simplement démunis et la culpabilité serait de nouveau là...
Pire encore, que se passerait'il si, comme dans 5 à 10% des cas, l'enfant devait survivre et que nous devions hypothéquer notre vie des années durant ?
Qui est inconscient ? Qui est égoïste ? Qui est victime ?
J'ai peur du handicap, j'ai le trouillomètre à zéro. De ce que j'en lis, c'est habituellement la femme qui vit cet effroi et a envie qu'on la libère, très rapidement, de ce fœtus qui est devenu une tumeur. Pas ma conjointe. Elle veut patienter encore mais ne me donne aucune indication de date. "La semaine prochaine nous pourrons aller là, pourrons faire ceci" .. Tout s'est arrêté dans ma tête. Mais elle, elle continue, vaillamment, de vivre.
Je suis bluffé. Sincèrement bluffé.
Elle attend un signe, une profonde conviction qui la pousserait à passer à l'acte.
Ce n'est pas tant la peur de l'épreuve. Elle est forte, courageuse.
C'est juste qu'il n'y a pas, pour l'heure, de conviction profonde.
Ma peine et mes suppliques n'y suffisent pas.
J'en viens à penser que cette conviction ne viendra jamais et que l'on part tout droit dans le mur.
Comment dois-je réagir ? Comment doit-elle réagir ?
Si c'est une concession que je demande, c'est la plus dure qui soit.
Pour autant, je ne me vois pas dire à mon fils : "Voici ta sœur mais ne t'attache pas trop hein car elle ne va pas vivre longtemps."
Pourquoi ajouter de la souffrance à la souffrance ?
Accepter par amour d'aller au bout de la grossesse est au delà de mes forces. Je n'en ai pas les épaules. Et, à la première souffrance de ma fille, je me retournerai contre tous ceux qui m'auraient conseillé d'aller au bout de la grossesse. Pas mieux.
Cette IMG est pour moi un non choix. Un choix qu'on ne devrait jamais avoir à prendre, c'est vrai. Une terrible injustice, c'est vrai. Mais c'est un choix qui s'impose. Et il faut savoir sauter du train avant qu'il ne soit trop tard.
Je vois ces couples qui vont au bout de l'expérience, qui choisissent de garder l'enfant, et qu'on trouve "lumineux". Je ne vois la lumière que dans l'après IMG.
Je ne suis pas d'un naturel pessimiste (bien qu'au vu de tout ce que j'écris, on pourrait le croire). Il faut la croquer cette vie, et pas qu'un peu. Conjuguer au présent des verbes d'action. C'est tout ce qui m'anime. Mais pas en célébrant la mort, en la faisant ainsi durer... C'est la vie qu'il faut célébrer.
Nous en avons parlé des heures et des heures durant. Elle est consciente de tout. Mais la réalité que j'essaye de lui montrer ne l'atteint pas.
Je la rejoins sur ce point : pourquoi avoir peur d'une réalité qui n'est alimentée que par le pire ?
Mais le pire est toujours là...
Poser le rubik's cube. OK.
Mais combien de temps ?
Le temps qu'il faudra pour que cela murisse.
C'est invivable.
C'est quelqu'un de fort, très fort, qui intériorise beaucoup. Pour autant, elle me dit souhaiter que "dieu la prenne" et en finir. Et de ne pas me fier aux apparences et qu'elle souffre aussi. Je n'en doute pas.
Je ne peux pas laisser dire ça. Pas quand on aime.
Elle me dit que peut-être elle se réveillera dans un mois et qu'elle réalisera, avec effroi, qu'elle est en train de faire une énorme bêtise.
Peut-être qu'elle se réveillera. Mais peut-être pas.
Comment l'effroi pourrait venir après, alors que la phase aiguë, c'est maintenant ?
Je veux faire confiance. Mais pas au prix de me dire que j'aurais du tout tenter et qu'il est hélas trop tard.
Son entourage est partagé. Elle a demandé aux siens que le sujet ne soit pas tout le temps abordé.
Sa mère pense qu'il faut laisser partir ce bébé, ses sœurs la soutiennent avec beaucoup d'amour mais elles acceptent, j'ai l'impression, l'état de fait.
Mais peut-être me trompais-je. C'est surtout un grand désarroi. Personne n'est préparé à cela. Et on ne peut en vouloir à personne.
Mais il faut avancer. Et là on avance pas.
De mon côté j'espère une fausse couche. Je m'en viens à songer à l'infanticide. Ce n'est pas possible. Ca n'a rien d'une grossesse normale.
Aimer, pour moi, c'est savoir aussi pointer une direction, savoir bousculer quand l'autre se sent perdu.
Bien sûr que c'est une décision très compliquée, lourde de sens et qu'on ne devrait jamais avoir à prendre. Je ne la souhaiterais pas à mon pire ennemi. Mais c'est une décision qui doit être prise sans tarder trop, avant que tout ne se complique davantage. On a du temps, mais pas tant que ça...
On a pas le droit de continuer à s'infliger tout ça.
Je ne tiens pas à avoir raison à tout prix. Mais j'en suis sûr à 1000%, cette IMG est une décision d'amour.
Et uniquement cela.
Sentant que mes mots n'y faisaient rien, j'ai voulu réaliser hier l'ultime électro-choc.
J'ai mis mon amour sur la table et l'ai quittée.
C'est une posture, pour qu'elle se rende compte que ce non-choix ne doit pas durer. Ajouter du désarroi au désarroi, par amour. C'est du grand n'importe quoi.
C'est nul, certainement. Peut-être ai-je "déclenché" trop tôt ? Peut-être que ce n'était pas comme cela qu'il fallait faire.
J'espère bien sûr que cela ne sera pas définitif, que notre amour en sortira vainqueur.
Car aujourd'hui je suis désespéré. Et n'ai finalement rien résolu.
Foutue trisomie.
Merci pour votre accueil et vos conseils.
Rémi