Quand tout s'écroule
Posté : 11 décembre 2019, 16:27
Inscrite depuis un mois maintenant, mais pas eu alors le courage de tout raconter — de tout réécrire en fait, puisque depuis le "début" j'ai ressenti le besoin d'écrire une sorte de journal, que je ne recopierai pas ici (beaucoup de choses que la charte du forum, avec raison, demande de garder sous silence).
Cinq ans que nous essayions de rendre possible l'équation 1+1=3. Tentatives infructueuses, les examens ne nous révèlent rien de particulier (ah, si, on suspecte une endométriose). Je cherche sur les sites, les forums, que je finis par fuir très vite, fatiguée par le langage infantilisant de certaines (futures) mamans ("gygy", "fofo"...). Avec le gynécologue qui me suit, nous essayons les inséminations artificielles — en vain. Sur son conseil, nous allons dans un centre PMA, à l'hôpital, assez loin de chez nous. Protocole FIV, une première ponction, une première tentative, puis une seconde. Rien. Deuxième ponction, les ovocytes prélevés sont moins nombreux, petite déception. On me transfère deux embryons.
Je ne me leurre pas pourtant : quelques jours plus tard, j'ai quelques pertes. Nous attendons la prise de sang, sans conviction. Les résultats d'analyse tombent : c'est positif ! Retour à l'hôpital, où on confirme avec une échographie : l'un des embryons s'est accroché, je suis enceinte !
Plusieurs examens, puis première échographie : le gynécologue croit déceler une hernie diaphragmatique, mais n'est pas inquiet ; le bébé est encore petit, et même si cette petite malformation est avérée au prochain examen, c'est une toute petite opération à la naissance, sans séquelles. Quinze jours plus tard, il constate que le bébé a grandi et qu'il va très bien. Nous ne voulons pas connaître le sexe.
On nous avait décrit la deuxième échographie comme la meilleure. Pourtant je trouve l'examen plus long que d'habitude, le gynécologue, si serein d'habitude, s'acharne un peu avec son matériel, il n'arrive pas à bien voir le cœur, le bébé bouge beaucoup. Il se pourrait que le ventricule gauche soit moins bien développé. Il demande pour nous un RDV pour une échographie de référence. Deux jours plus tard, nous nous rendons dans un autre hôpital.
Nous sommes confiants, le gynécologue n'avait pas l'air tellement inquiet. Nous nous disons que c'est parce que le bébé est pudique, comme sa maman qui se cache dès qu'on veut la prendre en photo.
Mais à l'examen, c'est la douche froide. Le ventricule gauche n'est pas "juste" moins bien développé, il ne s'est pas développé du tout. L'aorte est toute petite. Et le gynécologue s'est tellement concentré sur le cœur qu'il n'a pas vu le reste. Hypoplasie ventriculaire, spina bifida aperta... que de noms barbares pour un si petit être ! J'ai le choix : soit je le tue avant même qu'il vienne au monde, soit je le tue en voulant lui donner une (mal)chance. Car si je décide de laisser la grossesse arriver à terme, voilà ce qu'il se passera : je devrai aller à N***, et dès que l'on coupera le cordon, qui pour l'instant lui procure l'oxygène dont il a besoin, le bébé aura une chance sur deux de survivre. Et puis les opérations, pour que le ventricule droit puisse supporter un rôle qui n'est pas le sien. Mais le cœur fatiguera, un jour, vers l'âge de 20 ou 30 ans. Et la spina bifida implique d'autres choses encore : incontinence, difficultés à marcher, retards mentaux...
Alors voilà. Je finis par me résigner, tout comme mon mari. Nous ne voulons pas d'une vie de souffrance pour notre enfant. Je signe les papiers de demande d'IMG, ma signature est un gribouillis qui ne ressemble à rien, tant je pleure.
Nous voulons savoir le sexe. C'est un petit garçon.
Le 7 octobre, j'accouche par voie naturelle. Nous attendons son premier cri, même si nous avons déjà réalisé que le produit injecté le matin dans le cordon avait déjà stoppé son cœur. J'ai compris la différence entre un fœticide et un infanticide ; pour moi, je resterai coupable du meurtre de mon bébé.
Il s'appelle Zachary. Il mesure 31 centimètres et pèse 596 grammes. Il est né à presque 23 SA.
Aujourd'hui, nous sommes le 11 décembre et cela fait tout juste deux mois que nous avons dit un dernier au revoir à notre petit garçon, lors d'une cérémonie avant sa crémation. Nous l'avons choisi, parce que nous ne souhaitions pas d'une incinération "anonyme", avec d'autres bébés morts-nés, et d'une dispersion des cendres dans un jardin du souvenir à des heures de route de chez nous.
Mon oncle a annoncé la naissance de son premier enfant, un mois avant que nous apprenions que notre bébé était malformé.
Ma belle-sœur a donné naissance à une petite fille, une semaine avant que nous apprenions que notre bébé était malformé.
Nous gardons malgré tout un souvenir chaleureux (je n'ai pas d'autre mot) de l'équipe médicale qui nous a pris en charge, ainsi que de l'équipe du centre funéraire.
C'est allé tellement vite que je n'ai appris l'existence de l'association Petite Émilie qu'après ces événements. Je les ai donc vécus en pensant être la seule à vivre ce cauchemar. Encore aujourd'hui, j'espère tous les soirs me réveiller le lendemain en ayant fait un mauvais rêve. J'ai lu beaucoup de vos témoignages. Mais je n'arrive pas à m'estimer chanceuse, alors que beaucoup d'entre vous ont vécu, ou vivent des épreuves bien plus terribles que moi.
Il y a trois semaines, j'ai perdu ma mamie. Elle s'est laissée mourir. Elle savait que j'étais enceinte, mais elle n'était pas au courant pour le reste ; cependant, j'ai l'impression qu'elle se doutait de quelque chose.
J'attends avec angoisse une prochaine catastrophe. J'en ai assez de cette année pourrie. Elle m'aura au moins appris une chose : les miracles, ça n'existe pas.
Cinq ans que nous essayions de rendre possible l'équation 1+1=3. Tentatives infructueuses, les examens ne nous révèlent rien de particulier (ah, si, on suspecte une endométriose). Je cherche sur les sites, les forums, que je finis par fuir très vite, fatiguée par le langage infantilisant de certaines (futures) mamans ("gygy", "fofo"...). Avec le gynécologue qui me suit, nous essayons les inséminations artificielles — en vain. Sur son conseil, nous allons dans un centre PMA, à l'hôpital, assez loin de chez nous. Protocole FIV, une première ponction, une première tentative, puis une seconde. Rien. Deuxième ponction, les ovocytes prélevés sont moins nombreux, petite déception. On me transfère deux embryons.
Je ne me leurre pas pourtant : quelques jours plus tard, j'ai quelques pertes. Nous attendons la prise de sang, sans conviction. Les résultats d'analyse tombent : c'est positif ! Retour à l'hôpital, où on confirme avec une échographie : l'un des embryons s'est accroché, je suis enceinte !
Plusieurs examens, puis première échographie : le gynécologue croit déceler une hernie diaphragmatique, mais n'est pas inquiet ; le bébé est encore petit, et même si cette petite malformation est avérée au prochain examen, c'est une toute petite opération à la naissance, sans séquelles. Quinze jours plus tard, il constate que le bébé a grandi et qu'il va très bien. Nous ne voulons pas connaître le sexe.
On nous avait décrit la deuxième échographie comme la meilleure. Pourtant je trouve l'examen plus long que d'habitude, le gynécologue, si serein d'habitude, s'acharne un peu avec son matériel, il n'arrive pas à bien voir le cœur, le bébé bouge beaucoup. Il se pourrait que le ventricule gauche soit moins bien développé. Il demande pour nous un RDV pour une échographie de référence. Deux jours plus tard, nous nous rendons dans un autre hôpital.
Nous sommes confiants, le gynécologue n'avait pas l'air tellement inquiet. Nous nous disons que c'est parce que le bébé est pudique, comme sa maman qui se cache dès qu'on veut la prendre en photo.
Mais à l'examen, c'est la douche froide. Le ventricule gauche n'est pas "juste" moins bien développé, il ne s'est pas développé du tout. L'aorte est toute petite. Et le gynécologue s'est tellement concentré sur le cœur qu'il n'a pas vu le reste. Hypoplasie ventriculaire, spina bifida aperta... que de noms barbares pour un si petit être ! J'ai le choix : soit je le tue avant même qu'il vienne au monde, soit je le tue en voulant lui donner une (mal)chance. Car si je décide de laisser la grossesse arriver à terme, voilà ce qu'il se passera : je devrai aller à N***, et dès que l'on coupera le cordon, qui pour l'instant lui procure l'oxygène dont il a besoin, le bébé aura une chance sur deux de survivre. Et puis les opérations, pour que le ventricule droit puisse supporter un rôle qui n'est pas le sien. Mais le cœur fatiguera, un jour, vers l'âge de 20 ou 30 ans. Et la spina bifida implique d'autres choses encore : incontinence, difficultés à marcher, retards mentaux...
Alors voilà. Je finis par me résigner, tout comme mon mari. Nous ne voulons pas d'une vie de souffrance pour notre enfant. Je signe les papiers de demande d'IMG, ma signature est un gribouillis qui ne ressemble à rien, tant je pleure.
Nous voulons savoir le sexe. C'est un petit garçon.
Le 7 octobre, j'accouche par voie naturelle. Nous attendons son premier cri, même si nous avons déjà réalisé que le produit injecté le matin dans le cordon avait déjà stoppé son cœur. J'ai compris la différence entre un fœticide et un infanticide ; pour moi, je resterai coupable du meurtre de mon bébé.
Il s'appelle Zachary. Il mesure 31 centimètres et pèse 596 grammes. Il est né à presque 23 SA.
Aujourd'hui, nous sommes le 11 décembre et cela fait tout juste deux mois que nous avons dit un dernier au revoir à notre petit garçon, lors d'une cérémonie avant sa crémation. Nous l'avons choisi, parce que nous ne souhaitions pas d'une incinération "anonyme", avec d'autres bébés morts-nés, et d'une dispersion des cendres dans un jardin du souvenir à des heures de route de chez nous.
Mon oncle a annoncé la naissance de son premier enfant, un mois avant que nous apprenions que notre bébé était malformé.
Ma belle-sœur a donné naissance à une petite fille, une semaine avant que nous apprenions que notre bébé était malformé.
Nous gardons malgré tout un souvenir chaleureux (je n'ai pas d'autre mot) de l'équipe médicale qui nous a pris en charge, ainsi que de l'équipe du centre funéraire.
C'est allé tellement vite que je n'ai appris l'existence de l'association Petite Émilie qu'après ces événements. Je les ai donc vécus en pensant être la seule à vivre ce cauchemar. Encore aujourd'hui, j'espère tous les soirs me réveiller le lendemain en ayant fait un mauvais rêve. J'ai lu beaucoup de vos témoignages. Mais je n'arrive pas à m'estimer chanceuse, alors que beaucoup d'entre vous ont vécu, ou vivent des épreuves bien plus terribles que moi.
Il y a trois semaines, j'ai perdu ma mamie. Elle s'est laissée mourir. Elle savait que j'étais enceinte, mais elle n'était pas au courant pour le reste ; cependant, j'ai l'impression qu'elle se doutait de quelque chose.
J'attends avec angoisse une prochaine catastrophe. J'en ai assez de cette année pourrie. Elle m'aura au moins appris une chose : les miracles, ça n'existe pas.