Ici, l'IMG n'exite pas. Pour eux, nous avons tué notre enfant
Posté : 10 mai 2019, 07:32
Notre petit papillon trop fragile s’est envolé le Mercredi 8 Mai 2019 à 20 semaines et 4jours.
Le diagnostic de X fragile était tombé le Lundi 6 Mai, nous savions qu’il y avait un risque de 30% qu’il soit atteint, mais espérions de tout notre cœur que notre petit loup passerait à travers les mailles du filet….
***
Nous vivons à Singapour, pays où l’interruption de grossesse est à peine tolérée, et je ressens le besoin de raconter cette journée si traumatisante pour pouvoir peut-être, ne repenser après qu’à son si beau petit visage.
***
Le système de santé à Singapour est assez particulier et nous devons prendre des assurances complémentaires pour la maternité. Premier choc le Mardi lorsque l’assurance nous dit que cette IMG ne sera pas prise en charge, car ils ne considèrent pas qu’il s’agisse d’un accouchement, ni d’une raison légitime pour interrompre la grossesse – et que seule une interruption pour mise en danger de la vie de la mère serait valide. Aux yeux de Singapour et de notre assurance, nous faisons une interruption volontaire de grossesse, nous tuons notre enfant par commodité, et je ne vais pas accoucher.
***
Nous sommes arrivés dans l’un des deux hôpitaux privés les plus réputés de Singapour le Mercredi à 7h30, sans un mot de gentillesse des infirmières supposées nous « accueillir ». Le docteur est arrivé un peu avant 8h pour administrer la première pastille. Il nous avait dit qu’il se ne « passerait rien » pour les deux premières pastilles, les douleurs ont pourtant commencé un peu avant 9h.
A Singapour, les IMG ne se déroulent pas sous péridurale – puisqu’il ne s’agit pas à leurs yeux d’un accouchement.
Les douleurs, accompagnées de maux de ventre importants, se sont intensifiées progressivement et nous avons demandé à l’infirmière si je pouvais avoir un anti-douleur, que le médecin avait évoqué en nous expliquant le protocole. Cette dernière nous recommande de ne pas le faire car « son expérience a montré que les anti douleur pouvaient ralentir voire faire échouer l’IMG ». Nous ne comprenons pas, tentons d’appeler le médecin qui est en intervention chirurgicale. 11h, 12h, 13h, la douleur devient insoutenable, mon partenaire me supplie de faire la piqure mais je serre les dents et refuse, je ne veux pas prendre le risque de repasser par là le lendemain.
Le médecin arrive enfin, et demande qu’on me fasse immédiatement la piqure, nous disant qu’il n’y a aucun risque que cela affecte le fonctionnement des médicaments. L’infirmière vient nous voir ensuite pour nous reprocher d’avoir expliqué ce qu’elle nous avait dit, tout en nous redisant qu’elle pensait que cela pouvait ralentir l’efficacité du traitement. Heureusement, elle termine sa garde et s’en va.
De 7h30 à 13h30, une seule personne s’est intéressée à nous et a eu un geste de bienveillance, la dame s’occupant des plateaux repas, qui m’a demandé pourquoi j’étais là et m’a recommandé de prier.
****
Je passe une heure ou deux plus apaisées mais la troisième, puis la quatrième tablette m’arrachent bientôt des cris de douleur. Je refuse de faire une nouvelle piqure avant 19h car leur effet ne dure que 3 ou 4 heures et je veux être sûre d’être sous l’effet durant ce qui s’annonce être le pire, la « dernière ligne droite ». Mais cette dernière piqure ne fait pas effet, je suis déjà trop avancée dans le travail et la douleur est insoutenable. On me met la dernière tablette vers 20h, puis peu de temps après des suppositoires anti-douleur.
Je perds les eaux vers 20h45, puis je sens le bébé venir et je l’expulse vers 21h30. Durant la poussée je suis seule, mon partenaire est parti chercher les infirmières. Elles arrivent dans la chambre, soulèvent le drap et constatent « Ah oui, le bébé est arrivé » puis remettent le drap et nous disent que le médecin viendra dans 30min pour gérer le placenta, avant de sortir de la chambre.
Elles me laissent là dans le lit plein de sang, avec le bébé que je sens collé contre mes fesses.
Nous devons les rappeler pour qu’elles viennent le déplacer, nettoyer un peu sous moi et le cacher sous une protection.
Le médecin arrive ensuite et entame un curetage manuel de mon utérus pour extraire le placenta, la douleur et le choc sont tels que je ne saurais dire combien de temps cela a duré. Je pousse pour l’expulser et il me demande en souriant et en le prenant comme une pièce de viande chez le boucher, si je veux le voir (le placenta).
Ils emportent ensuite le bébé, mon partenaire doit leur demander plusieurs fois à nous le ramener pour qu’on le voit et à nous le présenter dans le lange que nous avons préparé pour lui. Elles ne semblent pas comprendre.
Le temps de me nettoyer, elles le ramènent ensuite dans un panier et allument une lumière blanche d’auscultation et ouvrent le lange devant mon partenaire qui a un mouvement de recul et s’écrit « c’est horrible ». Elles n’ont pas pu « laver le bébé » ni « enlever le placenta » et nous le présentent donc ensanglanté, allongé dans le panier avec le placenta posé un ou deux cm à côté de lui. Heureusement, je n’ai pas eu à voir cela et mon merveilleux partenaire a pris sur lui de recouvrir son petit corps et le placenta et de tamiser les lumières avant d’approcher le panier et que je puisse découvrir son visage.
Nous n’osons pas le déplacer dans son panier pour l’éloigner du placenta, et je n’aurai jamais la chance de le serrer dans mes bras
Mais il est si beau, semble apaisé, sa bouche forme déjà une petite moue boudeuse et coquine. Nous passons un doux moment avec lui. Nous pouvons le prendre en photo, lui laisser une photo de nous ainsi qu’un doudou pour l’accompagner. Puis nous lui disons au revoir et refermons pour la dernière fois le lange sur son beau visage.
Notre petit ange a des hématomes sur le visage et le corps, je ne peux m’empêcher de penser que je lui ai faits. L’infirmière du matin m’avait recommandé d’appuyer sur mon utérus durant les contractions pour faire descendre le bébé. Toute ma vie j’aurai ce regret d’avoir fait mal à mon enfant durant ses dernières heures de vie.
****
A Singapour, pas de photo prise par le personnel médical, pas d’empreintes, pas de petit bracelet, pas de certificat de naissance avec son prénom, pas de psychologue qui nous accompagne. Ma souffrance physique n’a pas été traitée, et notre souffrance psychologique ne le sera pas : à leurs yeux je n’ai pas accouché, il n’est pas né, il n’existe pas. Nous avons tué notre enfant volontairement, le dossier est clos.
Nous quittons le service sans un mot de leur part.
Le diagnostic de X fragile était tombé le Lundi 6 Mai, nous savions qu’il y avait un risque de 30% qu’il soit atteint, mais espérions de tout notre cœur que notre petit loup passerait à travers les mailles du filet….
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Nous vivons à Singapour, pays où l’interruption de grossesse est à peine tolérée, et je ressens le besoin de raconter cette journée si traumatisante pour pouvoir peut-être, ne repenser après qu’à son si beau petit visage.
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Le système de santé à Singapour est assez particulier et nous devons prendre des assurances complémentaires pour la maternité. Premier choc le Mardi lorsque l’assurance nous dit que cette IMG ne sera pas prise en charge, car ils ne considèrent pas qu’il s’agisse d’un accouchement, ni d’une raison légitime pour interrompre la grossesse – et que seule une interruption pour mise en danger de la vie de la mère serait valide. Aux yeux de Singapour et de notre assurance, nous faisons une interruption volontaire de grossesse, nous tuons notre enfant par commodité, et je ne vais pas accoucher.
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Nous sommes arrivés dans l’un des deux hôpitaux privés les plus réputés de Singapour le Mercredi à 7h30, sans un mot de gentillesse des infirmières supposées nous « accueillir ». Le docteur est arrivé un peu avant 8h pour administrer la première pastille. Il nous avait dit qu’il se ne « passerait rien » pour les deux premières pastilles, les douleurs ont pourtant commencé un peu avant 9h.
A Singapour, les IMG ne se déroulent pas sous péridurale – puisqu’il ne s’agit pas à leurs yeux d’un accouchement.
Les douleurs, accompagnées de maux de ventre importants, se sont intensifiées progressivement et nous avons demandé à l’infirmière si je pouvais avoir un anti-douleur, que le médecin avait évoqué en nous expliquant le protocole. Cette dernière nous recommande de ne pas le faire car « son expérience a montré que les anti douleur pouvaient ralentir voire faire échouer l’IMG ». Nous ne comprenons pas, tentons d’appeler le médecin qui est en intervention chirurgicale. 11h, 12h, 13h, la douleur devient insoutenable, mon partenaire me supplie de faire la piqure mais je serre les dents et refuse, je ne veux pas prendre le risque de repasser par là le lendemain.
Le médecin arrive enfin, et demande qu’on me fasse immédiatement la piqure, nous disant qu’il n’y a aucun risque que cela affecte le fonctionnement des médicaments. L’infirmière vient nous voir ensuite pour nous reprocher d’avoir expliqué ce qu’elle nous avait dit, tout en nous redisant qu’elle pensait que cela pouvait ralentir l’efficacité du traitement. Heureusement, elle termine sa garde et s’en va.
De 7h30 à 13h30, une seule personne s’est intéressée à nous et a eu un geste de bienveillance, la dame s’occupant des plateaux repas, qui m’a demandé pourquoi j’étais là et m’a recommandé de prier.
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Je passe une heure ou deux plus apaisées mais la troisième, puis la quatrième tablette m’arrachent bientôt des cris de douleur. Je refuse de faire une nouvelle piqure avant 19h car leur effet ne dure que 3 ou 4 heures et je veux être sûre d’être sous l’effet durant ce qui s’annonce être le pire, la « dernière ligne droite ». Mais cette dernière piqure ne fait pas effet, je suis déjà trop avancée dans le travail et la douleur est insoutenable. On me met la dernière tablette vers 20h, puis peu de temps après des suppositoires anti-douleur.
Je perds les eaux vers 20h45, puis je sens le bébé venir et je l’expulse vers 21h30. Durant la poussée je suis seule, mon partenaire est parti chercher les infirmières. Elles arrivent dans la chambre, soulèvent le drap et constatent « Ah oui, le bébé est arrivé » puis remettent le drap et nous disent que le médecin viendra dans 30min pour gérer le placenta, avant de sortir de la chambre.
Elles me laissent là dans le lit plein de sang, avec le bébé que je sens collé contre mes fesses.
Nous devons les rappeler pour qu’elles viennent le déplacer, nettoyer un peu sous moi et le cacher sous une protection.
Le médecin arrive ensuite et entame un curetage manuel de mon utérus pour extraire le placenta, la douleur et le choc sont tels que je ne saurais dire combien de temps cela a duré. Je pousse pour l’expulser et il me demande en souriant et en le prenant comme une pièce de viande chez le boucher, si je veux le voir (le placenta).
Ils emportent ensuite le bébé, mon partenaire doit leur demander plusieurs fois à nous le ramener pour qu’on le voit et à nous le présenter dans le lange que nous avons préparé pour lui. Elles ne semblent pas comprendre.
Le temps de me nettoyer, elles le ramènent ensuite dans un panier et allument une lumière blanche d’auscultation et ouvrent le lange devant mon partenaire qui a un mouvement de recul et s’écrit « c’est horrible ». Elles n’ont pas pu « laver le bébé » ni « enlever le placenta » et nous le présentent donc ensanglanté, allongé dans le panier avec le placenta posé un ou deux cm à côté de lui. Heureusement, je n’ai pas eu à voir cela et mon merveilleux partenaire a pris sur lui de recouvrir son petit corps et le placenta et de tamiser les lumières avant d’approcher le panier et que je puisse découvrir son visage.
Nous n’osons pas le déplacer dans son panier pour l’éloigner du placenta, et je n’aurai jamais la chance de le serrer dans mes bras
Mais il est si beau, semble apaisé, sa bouche forme déjà une petite moue boudeuse et coquine. Nous passons un doux moment avec lui. Nous pouvons le prendre en photo, lui laisser une photo de nous ainsi qu’un doudou pour l’accompagner. Puis nous lui disons au revoir et refermons pour la dernière fois le lange sur son beau visage.
Notre petit ange a des hématomes sur le visage et le corps, je ne peux m’empêcher de penser que je lui ai faits. L’infirmière du matin m’avait recommandé d’appuyer sur mon utérus durant les contractions pour faire descendre le bébé. Toute ma vie j’aurai ce regret d’avoir fait mal à mon enfant durant ses dernières heures de vie.
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A Singapour, pas de photo prise par le personnel médical, pas d’empreintes, pas de petit bracelet, pas de certificat de naissance avec son prénom, pas de psychologue qui nous accompagne. Ma souffrance physique n’a pas été traitée, et notre souffrance psychologique ne le sera pas : à leurs yeux je n’ai pas accouché, il n’est pas né, il n’existe pas. Nous avons tué notre enfant volontairement, le dossier est clos.
Nous quittons le service sans un mot de leur part.