IMG jeudi

[Magali]

Bonjour NAIG,

Moi aussi je me connecte tous les jours pour lire ton histoire. Tu décris si bien ce que nous avons vécu! Je n'ai pas accouché au même endroit mais chaque "épisode" que tu racontes me rappelle mes accouchements.

Courage pour la suite et continue à écrire. Tu as beaucoup de mam'anges qui se retrouvent dans ton histoire.
Tendres pensées pour Manon et nos petits anges

[NAIG31]

VENDREDI 5 JANVIER

A 7H00, on nous amène le petit déjeuner.
7H00, c'est drôlement tôt. Mon conjoint me dit que c'est sa meilleure nuit depuis une semaine. Il a raison moi aussi.
Je ne sais pas trop si c'est le cachet, si c'est le fait d'avoir franchie une telle étape ou si c'est un peu des deux mais malgré la douleur j'ai bien dormi.
J'avale mon petit déjeuner les yeux tout collés et tout gonflés. Mon homme part au travail et me dit qu'il reviendra manger avec moi.

Le ballet des blouses blanche démarre, chacune avec son propre rôle :

-mon aide soignante aux yeux bleues pour ma température et ma tension.

-La sage -femme pour palper mon ventre et vérifier les saignements. C'est là vraiment que je prend conscience qu'il est tout plat mais ça ne me perturbe pas encore.

- Un docteur et sa bande d 'interne. Cette grande dame au cheveux blanc reste longtemps avec moi, littéralement à mon chevet. Elle me parle beaucoup, de cette douloureuse expérience, de ma fille et de la manière de gérer mon deuil. Elle demande à ce qu'on m'amène un livre celui de "Léa n'est pas là". Elle me fait du bien et m'apaise. Je ne pleure pas je l'écoute comme un petite fille sage. Je la regarde dans les yeux, elle, pas toutes les internes parce qu 'elles ont un regard de pitié. Je leur fait pitié, on dirait une horde de chien battus.

- Quand la psychologue arrive je suis un peu décue car mon homme n'est pas là et je sais qu'il aime être là. Il dit que ça l'aide à comprendre ce que je vis intérieurement parce que je dis des choses que je ne lui dirai pas aussi facilement. Il a probablement raison.
Je commence à lui parler de mon accouchement, je lui dis que je ne m'attendais pas à ça. Elle me demande de lui expliquer, je fond en larmes au moment où je revis l'expulsion brutale". A gros sanglots , je lui fait part du choc.
Petit à petit lui parler de cet instant précis me libère. Mon conjoint entre, s'assoie et écoute silencieux. Je fini et je lui demande :
" -Et toi tu n'es pas trop choqué"
A son tour, il raconte ce moment. La peur qu'il a lut dans mes yeux, le liquide sur ses chaussures, mes larmes, la sensation de ne pouvoir rien faire, l'arrivée soudaine du personnel médical.
Il raconte des choses que moi je n'ai même pas vu. Ce médecin dans le coin de la pièce les bras croisés et l'air sévère qui regarde l'agitation comme si de loin il vérifait que tout le monde fait bien son boulot.

Après ces confidences nécessaires,une autre dame rentre dans ma chambre.
C'est elle qui gère les démarches pour Manon et qui s'occupe de son petit corps.
Je suis fatiguée et elle commence à nous parler de tous les papiers administratifs. Je décroche, je ne sais pas si c'est moi ou elle qui s'exprime mal mais je ne comprend rien à ce qu'elle raconte.
Quand j'entend les mots "photos" et "Manon", mon attention revient.
Je lui dit que je veux allez la voir cette après midi et que du coup je ne veux pas voir la photo. Après quelques minutes, je comprend que la fameuse photo est sous enveloppe, qu'elle est pour nous et accompagnée des empreintes et de son bracelet de maternité. Je m'excuse mais je me dis aussi que c'est vraiment elle qui s'exprime mal.

Elle me demande en faisant la grimace :

"- Vous voulez la voir cet après midi ? "
"- oui"
"-vous êtes sur?"
"-Comment ça, qu'est ce que vous voulez dire?
"- Ben... faut pas vous attendre à un bébé tout rose quoi!"
Elle m'agace et j'explose :
"- Ecoutez ça suffit maintenant, hier la sage femme me dit qu'elle est visible que sa couleur de peau est juste un peu particulière mais qu'elle pense qu'il faut que je la vois. Et vous? vous êtes entrain de me dire que non !! qu'est ce que je dois comprendre ?
"- Ben... oui elle elle l'a vue hier, moi je l'ai vu aujourd'hui. C'est moi qui est fait la photo, quoi !

Mon sang ne fait qu'un tour.
"- Et alors je veux la voir, j'irai la voir point.
Je pense clore la conversation.

"- A quelle heure ? me demande t'elle.
Exasperer je répond :
"- J'en sais rien je dois sortir vers 18H00? J'aimerai me reposer avant donc je ne sais pas... 16h00 !!
"-AH mais je fini à 15h12....

C'est une blague !!!! J'ai dû la fusiller du regard car elle ajoute très vite :
"-non mais je peux rester si ça vous arrange.
Je me lasse et fini par dire :
"- non , c'est bon on dit 15H00 ça vous va?
"- D'accord, vous me ferez appelez.

Je suis allongée sur mon lit, les yeux clos.
Je me questionne intérieurement, elle m'a fait peur. J'y vais, j'y vais pas? Je ne sais plus, cette femme m'a mis le doute et je la déteste pour ça J'entend mon conjoint dire : écoute je vais regarder la photo et je te dirai si j'estime que c'est trop difficile pour toi. Il lit dans mes pensées.

J'ai toujours les yeux fermés et je l'entend décacheter l'enveloppe.
Silence. J'hésite à ouvrir les yeux, je ne le fais pas.

"-Pff, ça ne me choque pas.
j'ouvre les yeux.
Il me fixe de son regard doux avec un petit sourire ,
"- Regarde franchement, elle est rouge mais ce n'est pas choquant.3
Je m'assoie, je me lance :
Délicatement j'ouvre l'enveloppe kraft, je sors le carton blanc, je le pose sur mes genoux.
Je prend une profonde respiration, j'ai l'impression que je vais me jeter dans le vide : j'ouvre.

"- Elle est si petite!
Je la trouve jolie. Oui ce n'est pas un bébé comme les autres Madame mais c'est mon bébé. Je passe mon doigt sur la photo, sur son visage tout doucement comme si je la caressais je souris. Au plus profond de moi, j'ai une certitude : je veux la voir !!!

[NAIG31]

Merci de vos encouragements magali.

Ecrire me fais tellement de bien .

[Magali]

J'ai eu le même ballet que toi le lendemain de l'accouchement et tout comme toi ça a été notre nuit la "plus reposante" depuis longtemps.
- Le docteur avec ses internes : j'avais l'impression d'être dans un épisode de Docteur House. Le docteur était un vieux monsieur et expliquait mon cas avec très peu de délicatesse! Et j'avais 5 paires d'yeux qui me regardaient comme si j'étais LE cas de l'année... Aucun tac...
- Les aides soignantes et infirmières au petit soin, toutes très gentilles et attentionnées
- La cadre de l'hôpital : pas du tout délicate... Elle balance tout son charabia administratif et je l'écoute pas non plus! Sauf quand j'entends le mot funérailles...
- Ma gynéco : c'est ma psy! Elle est douce, attentionnée mais à aucun moment elle n'a été porteuse de faux espoir. Elle a vraiment été superbe durant tout ce mois de novembre et l'est encore! Je suis rassurée avec elle.

Courage Naig pour les jours à venir qui ne seront pas faciles. Nous serons là pour t'aider au mieux à traverser toutes ces épreuves et te faire sentir moins seule car nous avons vécu à peu de chose près la même chose.

[Amanda]

Merci Naig pour ton courage d'écrire alors que tout cela est encore si frais.
Douces pensées à Manon et j'espère que tu fais ton petit bonhomme de chemin dans ce processus si douloureux.

[-Marie-]

Bonjour Naig,

Juste pour prendre de tes nouvelles. J'espère que tu vas bien et que tu tiens le coup.
Bise et pensées à ta petite Manon,
Marie

[NAIG31]

Bonsoir les filles , bonsoir à toutes

juste ce petit message pour vous donner de mes nouvelles enfin.
Je n'ai pas eu trop de temps, j'ai été bien occupée car j'ai eu beaucoup de visites : mon père, ma mère, mes amies d'enfances bref la maison se remplissait.
Ca m'a fait du bien, j'ai beaucoup parlé de mon expérience j'ai évacué un peu de tout ça.
Evidemment , il y a des jours sans.. mais dans l'ensemble je vais bien.
Demain je serai plus tranquille et au calme je souhaiterai donc vous faire partager ma rencontre avec ma fille Manon.
Je vous embrasse toutes, j'espère que vous allez bien aussi.. ou le mieux que vous pouvez.

[Leia145]

Je suis aussi une toute nouvelle mamange. ....ton histoire me remue beaucoup car pour moi tout se passera mercredi. Plein de courage pour la suite.

[NAIG31]

Bonjour stéphanie désolée de t'accueillir ici. Je te souhaite plein de courage pour mercredi et j'espère que ca se passera au mieux pour toi. Toi aussi tu as eu une infection au cmv ?

Je m'étais arrêtée le lendemain de mon accouchement au moment où je devais rencontrer ma petite Manon.
J' avais beau avoir vu la photo de mon bébé, j'étais très tendue.

Il est 14h00, j'ai essayé de manger un peu, j'ai essayé de dormir un peu mais je n'arrivais à rien.
La situation était tellement irréaliste. Dans ma tête, je n'arretait pas de me dire "tu vas aller voir ton bébé mort"
"Mon bébé mort", Le caractère invraisemblable de la situation m'empêchait réellement de réfléchir normalement. Tout se mélangeait un peu comme si je m'étais dédoublée et qu'une partie de moi observait la situation.
Durant ces quelques heures, j'ai vraiment eu l'impression que ce n'étais pas moi qui avait vécut tout ça, tout simplement parce que pour moi, personne ne pouvait vivre un truc aussi affreux.
A 15H00, mon conjoint annonce "il est 15h00" presque comme une sentence. Une partie de moi veut tellement rencontrer cette petite fille qui il y a quelques mois faisait des galipettes dans mon ventre mais j'avais peur.
Peur de tomber dans les pommes, peur de ne pas supporter cette étape, peur de m'effondrer, peur d'être dégouter, peur de mal réagir comme une mauvaise mère ce que déjà j'étais persuadée d'être.

Le chemin vers la salle où l'on devait nous présenter Manon s'est fait en silence. Vêtu de mon pyjama et d'un grand gilet, je fais bien attention de ne croiser aucun regards.
La salle se trouve au niveau des urgences de la maternité, nous attendons en salle d'attente. Une salle d'attente rempli de femmes enceintes. Je ne réagis pas.
Je m'assoie devant le distributeur de bonbons, j'ai une envie incroyable de sucré depuis l'accouchement. Je vois mon reflet dans la machine et je croise le regard d'un zombie en pyjama.
La dame vient nous chercher. Elle est un peu plus douce que ce matin. Elle nous installe dans une pièce avec des canapés, une table ronde est entourée de quelques chaises au milieu de la pièce. J'en choisit une pour m'asseoir face à la porte d'entrée. Elle nous dit qu'elle va chercher Manon.
Elle sort.
J'ai l'impression que ce laps de temps dure une éternité. Je suis focalisée sur les bruits du couloirs afin de savoir quand est ce qu'elle repassera la porte.
J'entend des cliquetis et des pas de l'autre coté, je prend une longue inspiration. Elles rentrent toute les deux. Je me sens bizarre, je jurerais entendre un gazouillis d'enfant l'espace d'un demi seconde.
Je m'approche et je me penche au dessus de ma petite fille enveloppée dans une couverture de laine. Je pleure en tendant les bras vers la femme pour qu'elle puisse me la donner.
Elle semble dormir, elle est si petite.
La femme sort.
Nous restons tout les trois. Pendant un long moment je pleure en silence en l'observant.
Elle parait sereine.
Un peu fripée, un peu rouge, c'est mon petit crapaud.
Elle a un petit bout de peau qui pèle au dessus de son oeil, je pense fort "mon dieu pourvue qu'elle n'est pas souffert".
Je n'ose pas la toucher, je la dévisage tout simplement.
J'en prend plein les yeux, je m'imprègne. Je trouve qu'elle a ma bouche et mon menton. Je le dis à mon conjoint, il est d'accord me dis qu'il a remarqué aussi.
Je ferme les yeux et je sers contre moi ce petit corps inerte dans cette couverture de laine.
Dans ma tête je m'excuse auprès d'elle, je m'excuse de lui avoir fait subir tout ça, je m'excuse de na pas avoir réussi à la protéger, d'avoir attraper ce virus. Je m'excuse d'avoir été dégoûté quand j'ai senti son petit corps entre mes jambes, je m'excuse d'avoir eu peur d'elle et de notre rencontre.
Je la berce doucement, j'ai presque envie de lui chanter une chanson. A certain moment une petite voix me dit dans ma tête "qu'est ce que tu fabriques, elle n'est pas vivante" et 1 seconde après mes bras refont ce mouvement de balancier si rassurant.

La dame repasse la porte.
"-déjà" me dis-je dans la tête.
Mais je sais au fond de moi qu'il faut que je la laisse partir, que je ne peux pas la garder. Je lui dis " au revoir" je pleure beaucoup mais je suis heureuse de cette rencontre.
Avant de la prendre dans les bras, je remercie 10 fois cette femme que je détestait quelques heures plus tôt. Elle me regarde avec des yeux pleins de tendresse et s'excuse :
"- je ne voulais pas vous froisser ce matin par rapport à votre fille.
La seule réponse, mes seules paroles furent "merci", encore...

[-Marie-]

Oh, que je reconnais à ta description cette salle avec cette table ronde où l'on nous a amené notre fils pour un dernier câlin...
Je trouve bien que tu sis eu le courage de vivre ce moment qui au final fait parti du peu de souvenirs que nous avons avec nos enfants...

Je t'espère "en forme" (du mieux possible) et trouve cela chouette que ta famille soit venue et que tu arrives à partager cela avec eux (ce que je ne sais pas faire)

Bises
Marie