
La nuit du 26, ton papa a encore pris le temps d’essayer de te sentir, il sentait quelque chose mais on ne savait pas vraiment si c’était toi car je ne te sentais pas au même moment... C’était un doux moment que nous avons passé tous les trois, tous les deux concentrés sur le moindre signe de ta part, et rigolant de ne pas trop savoir si c’était toi... Nous étions excités à l’idée que quoiqu’il en soit il y avait une communication entre nous trois...
Le 27, nous avions donc rdv à l’hôpital avec la sage femme en chef de la maternité, nous y sommes allés assez stressés car nous savions que j’allais devoir prendre des cachets pour préparer mon corps à cette accouchement précoce, je n’étais qu’à 26 semaines aménorrhées... ça allait être le début de la fin, nous devions être sûrs de notre décision...
Nous avons été très bien accueillis, cette dame avait l’habitude de recevoir des couples dans notre situation malheureusement... elle avait du tact mais ne tournait pas autour du pot pour dire les choses et c’était important pour nous... Elle nous a confirmé que la connaissance de ton papa (MM) allait pouvoir s’occuper de moi, mais que je devrais alors accoucher en salle d’accouchement et non dans la partie « grossesses à risque » de la maternité car c’est là qu’elle travaillerait demain... Ça n’avait pas vraiment d’importance pour moi, d’un côté j’avais peur d’entendre d’autres bébés pleurer ou des mamans crier, mais d’un autre côté je me sentais considérée comme une maman qui allait accoucher de son enfant, je me sentais respectée dans mon rôle de maman malgré la situation... Elle nous a expliqué que je serais hospitalisée à partir de demain matin, le 28 décembre, que j’irai rapidement recevoir « le geste » qui allait arrêter ton petit cœur, que je ne serais pas endormie car ce n’était pas tellement douloureux, ni pour toi ni pour moi, que ton papa pourrait rester auprès de moi tout le long et que MM serait là aussi... Ensuite je retournerait dans ma chambre et c’est seulement le lendemain, le 29 décembre que je serai déclenchée car il était obligatoire d’y avoir 24h entre « le geste » et l’accouchement... Elle m’a également expliqué comment allait se passer le déclenchement, que le travail pourrait ensuite durer jusqu’à 24h donc que tu serais p-e là seulement le 30... Ça dépendait de la réaction de mon corps...
Je me sentais prête, prête à vivre tout ça car je savais maintenant comment ça allait se passer, et puis ça devenait dur pour moi de t’avoir dans mon ventre, de te sentir bouger en sachant que c’était les dernières heures, et je t’avoue que j’avais vraiment hâte de te voir, te toucher et t’admirer...
Elle m’a donné tous les papiers nécessaires, puis m’a tendu deux comprimés et un verre d’eau, en me précisant que ces comprimés n’allaient pas déclencher des contractions ou quoi que ce soit, mais que je pouvais ressentir des petits pointes car mon utérus allait commencer à se préparer, si les pointes étaient douloureuses je devais revenir aux urgences... Elle m’a dit que je devais les prendre ici, que je ne pouvais pas les prendre chez moi... mais elle s’est éloignée pour chipoter dans ses papiers, je pense qu’elle voulait nous laisser un peu d’intimité... Ton papa a été super présent, je pense que s’il avait pu il aurait avalé les comprimés à ma place... J’ai avalé les comprimés sans trop réfléchir puis nous sommes rentrés à la maison... Nous nous sommes occupés le reste de la journée en jouant à la console, je n’ai pas ressenti de douleurs le reste de la journée...
Nous nous sommes couchés tôt car nous avions rdv assez tôt pour mon hospitalisation, comme chaque soir il s’est mis derrière moi, ses mains contre mon ventre et nous avons attendu un petit mouvement de ta part... Nous allions nous endormir quand tu as donné un gros coup contre mon ventre, ton papa a sursauté et m’a demandé si c’était toi, je t’avais bien sentie aussi donc je lui ai confirmé que c’était bien toi... Nous nous sommes endormis apaisés et le lendemain matin, ton papa s’est remis dans la même position et t’a à nouveau senti... Merci ma belle d’avoir offert ces ptits coups à ton papa, je suis persuadée que tu essayais de te manifester depuis qlqs jours mais que c’était dur pour toi, tu étais encore si légère... Mais tu as réussi à rassembler tes forces pour donner ce gros coup et offrir le plus beau cadeau que tu pouvais faire à ton papa...
Nous sommes partis pour l’hôpital de nouveau très stressés... Mais nous avons rapidement été pris en charge, on nous a montré ma chambre, je me suis installée et mise dans mon lit... On nous a dit qu’on viendrait nous chercher fin de matinée, on se demandait pourquoi on nous avait fait venir si tôt, ça allait être long à attendre... Ton papa avait pris son ordinateur avec lui pour s’occuper en attendant, moi j’essayais de me détendre et de m’endormir, mais c’était difficile car j’appréhendais bcp la suite... De temps en temps, ton papa venait près de moi et déposait sa main sur mon ventre, il te sentait parfois, ça le faisais sourire, mais je voyais aussi énormément de tristesse dans son regard...
Finalement ils sont venus me chercher début d’après midi, ça devenait vraiment long... Cette ambivalence entre vouloir arrêter le temps pour profiter encore et encore de toi vivante, et en même temps accélérer le temps pcq cette attente était nerveusement très dur à supporter... Je suis arrivée dans la même pièce que pour l’amniocentese, il y avait MM qui était là, elle n’allait rien faire en particulier mais elle a demandé pour être là... Ils m’ont placé exactement de la même manière que pour l’amniocentese, ton papa aussi mais il y avait bcp plus de médecins autour de nous... Il y avait un écran à ma gauche, quand ils ont mis l’écho pour te chercher j’ai ressenti cette boule à la gorge monter à nouveau, ton papa me tenait la main... Je t’ai aperçu sur l’écran, je t’ai regardé une dernière fois puis j’ai tourné la tête pour regarder le plafond, je t’avais vu une dernière fois mais c’était trop dur de te regarder encore, je m’en voulais tellement d’accepter qu’on fasse ce geste pour arrêter ton cœur... Ton papa a toujours eu beaucoup de tension et ne se sentait pas très bien, MM lui a dit de rester bien assis et lui a proposé un cachet pour se calmer, ton papa a hésité puis l’a quand même pris... Le gynécologue est venu près de moi et m’a expliqué qu’il allait faire comme à l’amniocentese, piquer une grande aiguille dans le placenta, qu’il ne fallait pas que je bouge même s’il imaginait que c’était difficile... Il m’a dit qu’il allait injecter un premier produit pour t’endormir pour ne pas que tu souffres, puis qu’il devrait attendre 2 minutes et t’injecter un autre produit qui allait arrêter ton cœur... Aujourd’hui je me demande comment j’ai réussi à rester calme, à ne pas m’enfuir en courant... J’ai tourné la tête vers ton papa, il avait un regard tellement triste, j’ai quitté son regard car je sentais que j’allais éclater en sanglot mais je ne pouvais pas bouger... J’ai vu qu’il baissait la tête... Il me tenait la main mais ne voulait pas regarder... MM est venu près de lui et l’a guidé pour qu’il respire calmement et qu’il reste assis, j’avais peur qu’il fasse un malaise, qu’il ne supporte pas cette situation et que sa tension ne monte trop haut... Mais j’étais rassurée de voir que MM était près de lui et le « surveillait »...
J’ai de nouveau regardé le plafond et me suis concentrée car j’avais eu assez mal pour l’amniocentese, je me préparais à ressentir à nouveau cette douleur et à ne pas bouger pour ne pas qu’il te blesse... Il a piqué assez rapidement, j’ai senti que l’aiguille perçait une première couche, c’était ma peau, puis rapidement et très douloureusement une deuxième couche, le placenta cette fois... Je continuais à regarder le plafond, je ne voulais surtout pas tourner la tête vers l’écran, et ton papa avait toujours la tête baissée, il respirait calmement... Le gynécologue a dit tout ce qu’il faisait, qu’il injectait le premier produit pour t’endormir, je t’ai dit au revoir dans mes pensées, je t’ai aussi dit que je t’aimais... Ensuite il a dit qu’il devait attendre un peu, c’était interminable, j’avais envie de bouger pcq l’aiguille me faisait très mal, elle me semblait tellement épaisse, je soufflais pour évacuer la douleur et ne pas bouger, j’avais les yeux fermés... Ensuite il m’a dit qu’il injectait le produit pour arrêter ton cœur... J’ai senti ton papa me serrer la main un peu plus fort, ma gorge était très serrée mais je ne pleurais pas... Je voulais rester forte pour honorer ton envol... Le gynécologue a dit « Voilà, c’est fini », j’ai ouvert les yeux et il m’a regardé avec un regard très compatissant, il me semble qu’il a dit « je suis désolé » mais je ne suis plus sûr... Il a retiré l’aiguille et m’a demandé si ça allait, j’ai répondu « ça va, ça a été trop long »... J’étais soulagée que ce soit terminé pcq ça avait été douloureux et tellement dur psychologiquement aussi... Ma chérie je pense que je ne me rendais pas compte que tu étais décédée à présent, que je ne te sentirais plus bouger... Je suis désolée car j’ai l’impression d’avoir occulté le fait que tu venais de mourir à l’instant dans mon ventre, j’ai plutôt ressenti un soulagement que ce soit fini... J’ai longtemps culpabilisé de ce sentiment mais je pense que c’était un mécanisme de défense, j’ai du occulter ta mort un instant pour ne pas mourir moi-même de chagrin... Quand ça a été fini j’ai enfin tourné la tête vers ton papa, il avait le regard tout aussi triste mais je sentais qu’il était très fier de moi... Nos yeux brillaient mais nos larmes ne coulaient pas... Elles n’ont pas coulé de tout le séjour à l’hôpital à vrai dire... P-e un mécanisme de défense, ou le besoin de garder la « tête froide » et pouvoir vivre chaque moment sans craquer et perdre nos moyens...
Nous sommes retournés dans la chambre et nous nous sommes retrouvés enfin seuls, on s’est serré très fort et très longtemps avec ton papa... Puis je lui ai dit que j’avais besoin de dormir, tous ces efforts pour ne pas bouger malgré la douleur physique et psychologique m’avaient épuisés... Quand je me suis calmée, je me suis rendue compte qu’habituellement je t’aurais sentie bouger, mais que ce n’était pas le cas car tu n’étais plus en vie... Je me suis tout de même endormie la main sur mon ventre, comme pour te réconforter...
Plusieurs Infirmieres sont passées dans la chambre pour prendre les paramètres et voir comment on allait, MM est passée aussi en tenue de ville, elle avait fini journée... Elle nous a expliqué que normalement on devait attendre 24h après « le geste » pour déclencher l’accouchement mais que c’était toujours bcp trop car le travail durait généralement longtemps, elle s’est donc arrangée pour qu’on me déclenche le lendemain matin, nous étions rassurés de ne pas devoir encore attendre tout ce temps... J’aurai la péridurale demain matin puis on déclencherait le travail... MM m’a dit qu’elle viendrait dès le matin pour la péridurale car ton papa ne pourrait pas venir cette fois... J’étais soulagée de savoir que je la retrouverai demain...
Personne de notre entourage n’est venu à l’hôpital, c’était notre souhait, mais j’ai téléphoné à mes parents pour leur dire que ton cœur était arrêté et leur donner les dernières nouvelles, et j’ai pas mal communiqué avec mes amies par message, je me sentais soutenue et c’était important pour moi...
Nous avons mangé assez tard avec ton papa car à partir de minuit je devais être à jeun... L’infirmiere avait préparé un lit de camp pour qu’il puisse dormir près de moi. Nous nous sommes endormis, anxieux en pensant à la journée du lendemain... Il faisait si calme dans mon ventre, je sentais ton poids mais plus tes mouvements, je ne pouvais cependant pas m’empêcher de garder ma main sur mon ventre... Comme pour te cajoler, te sentir encore tant que tu étais là... Je mesurais déjà combien tu allais me manquer quand tu ne serais plus là, mais j’avais vraiment hâte de découvrir ton joli corps
