Léa, l'écroulement, la guérison.

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Caroline20032020
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Enregistré le : 29 juillet 2020, 16:26

Léa, l'écroulement, la guérison.

Message par Caroline20032020 »

Bonjour à tous,

Je poste pour la première fois dans cette partie du forum, bien que le message que je m'apprête à écrire pourrait se retrouver dans la section reconstruction...

En février, on a découvert chez ma deuxième fille une malformation cardiaque lors de l'echo morpho de contrôle. Nous avons malheureusement tous ici connu ce moment, celui où tout s'effondre, celui aussi où tout commence. Heureusement, mon compagnon était avec moi, je n'étais pas seule. Je le lui répète d'ailleurs en boucle. Je n'arrive pas à me concentrer sur ce que les médecins nous disent. Je retiens surtout qu'ils font preuve d'énormement d'empathie, qu'il faut faire des examens complémentaires et que la situation est grave. On nous prévient aussi qu'établir un diagnostique et un pronostique prendra du temps, que tout ça se compte en semaines. Nous réalisons que nous venons d'entamer un marathon. C'est un vendredi, on sort de l'hôpital avec un rendez vous pour une amnio lundi première heure. Avec mon conjoint, on alterne les moments où on analyse la situation et d'autres où on laisse libre cours à notre douleur. Ca fait chier. Putain de merde ça fait chier. Ni l'un, ni l'autre on avait jamais vécu un pareil coup du destin. On était insouciant. On était bien conscient qu'on avait beaucoup de chance, mais on avait aussi cette espèce de croyance que tout irait TOUJOURS bien pour nous. On s'est pris une énorme claque ce jour là.

C'est aussi ce jour là que j'ai commencé le deuil de mon bébé tel que je l'imaginais, c'est à dire en bonne santé. On a réalisé que quoi qu'il arrive, nous étions maintenant les parents d'un enfant malade du cœur.

Je traverse les jours qui suivent dans un état complètement hors du temps. M'occuper de ma fille aînée, qui a un peu plus de 2 ans à l'époque, me permet clairement de garder la tête hors de l'eau. Le covid qui arrive en Europe me distrait. J'annonce la nouvelle à mon boulot, on me dit de prendre soin de moi et de ma famille et de choisir ce qui me fait du bien : travailler au bureau ou en télétravail, ou m'arrêter. Ca me soulage. Je suis une semaine en maladie puis je reprends. J'ai envie de croire que la vie continue normalement. Mais après deux semaines, je suis vidée et émotionnellement à bout. Un jour, je craque et je fonds en larmes quand mon chef me demande si ça va, il me renvoie gentiment à la maison. J'ai commencé à mettre mes dossiers en ordre pour le cas où je ne reviendrais pas.

Pendant les 3 semaines qui suivent l'amnio, je vous ai lues sur ce forum, je me suis préparée au pire, j'ai imaginé tous les scénarios. J'ai eu plein de prises de conscience très douloureuses. Comme de penser que mon bébé deviendrait froid dans mes bras s'il naissait sans vie. J'ai aussi peur que le pronostique soit mauvais tout en étant viable. Je ne veux pas mettre au monde un enfant qui sera malade chronique du cœur toute sa vie. J'ai très peur que l'hôpital me refuse ce choix. J'ai très peur de devoir faire ce choix. Il m'est arrivé d'éclater en sanglots en réalisant que plus aucun bébé ne voudrait jamais venir se loger dans mon ventre si j'autorise qu'on y tue des bébés. Ce sont des moments très douloureux, mais la où je m'en sors, c'est que je communique énormément avec mon conjoint. Formuler mes peurs à haute voix me permet de les évacuer.

Et puis malgré tout, je garde l'espoir que cette malformation sera opérable et que notre bébé pourra être soigné, vraiment soigné. Je me sens comme dans un sas où il y a plusieurs portes devant moi, avec à chaque fois de nouvelles portes derrière, mais je n'ai aucune idée de celle qui va s'ouvrir.

L'amniocentèse est finalement normale. On nous cale un rendez vous en urgence avec une cardio pediatre dans un autre hôpital, qui échographie pendant plus d'une heure le cœur de notre bébé. Et la, verdict, ventricule unique, oreillette unique, trouble du rythme cardiaque, je ne me souviens plus des détails mais le pronostique est clair : toutes ces malformations combinées sont incompatibles avec la vie, aucune opération ne pourrait sauver notre bébé, on pourrait au mieux gagner quelques semaines mais rien de plus. Après cette annonce, après l'immense déchirement de réaliser que mon enfant ne pourra pas vivre, j'ai aussi ressenti une forme d'apaisement. Fini les doutes. Maintenant, la porte est ouverte et nous connaissons la prochaine étape, c'est l'img.

Ce jour là, nous avons aussi souhaité connaître le sexe de notre bébé. Jusque là on gardait la surprise pour l'accouchement mais franchement, y avait plus de quoi se réjouir. C'est une petite fille. On décide de l'appeler Léa, comme dans ce livre pour les enfants, Léa n'est pas la.

On décide de prévoir l'img pour la fin de la semaine suivante. Je serai à 26sa, j'aurai droit à un congé de maternité, Léa sera inscrite sur notre livret de famille. Je commence à me préparer. On a le temps de se poser toutes les questions. Le covid nous distrait (encore), on sent venir l'annonce d'un confinement. J'avoue que je suis assez terre à terre et je réalise bien que Léa n'aura pas besoin d'avoir chaud dans son cercueil, je choisis donc de jolis tétras imprimés pour l'emmailloter et j'en garde un pour moi. Je dors avec pour lui laisser mon odeur. On achète un doudou. On voit les pompes funèbres. D'ailleurs c'est le dernier mec auquel mon conjoint a serré la main avant des semaines (on a conjuré ce mauvais karma dès la sortie de confinement ^^). Léa est toujours bien vivante dans mon ventre, je sens ses coups, on communique. Je l'aime terriblement ce bébé, j'aimerais retenir le temps qui passe, je ne veux pas que les heures s'écoulent, et à la fois je suis convaincue que nous prenons une décision d'amour, que nous prenons pour nous toute la souffrance qu'elle aurait dû vivre. Je ne doute pas un instant mais ça n'enlève absolument rien à l'immense détresse que je ressens au fil des jours qui passent et qui nous rapprochent de la date prévue pour l'IMG.

Un jour, je réalise qu'en fait, je vais quand même devoir accoucher et pousser ce bébé. Je suis très, très angoissée à l'idée de ne pas avoir la force de le faire. Je prend contact avec la sage femme qui m'a préparée pour mon aînée. Elle nous reçoit rapidement. Ca me permet deux choses : un, je me mets dans une optique où je vais accueillir mon bébé et le serrer dans mes bras, deux je me rassure sur l'accouchement et je suis convaincue que je vais trouver ce qu'il faut en moi pour y arriver.

La veille du jour J, je prends un long bain avec Léa. Je lui parle, je la caresse, je la dorlote. Je lui fais mes adieux. Je sais que le flux placentaire diminue à cause des médicaments que j'ai pris la veille. Je lui dis qu'elle peut partir quand elle veut. Que tout ira bien, que je suis avec elle. Je lui demande pardon. Je lui dis que je l'aime.

Le jour J, j'ai complètement craqué quand on est rentrés dans le couloir d'accouchement. J'ai vu les visages de l'équipe se tourner vers nous et j'ai su qu'ils savaient que c'était nous, qu'ils nous attendaient. J'ai fondu en larmes. Je me suis effondrée dans les bras de mon conjoint. J'aurais tant voulu que tout soit différent, j'aurais voulu être n'importe où, sauf la. Je n'ai jamais ressenti une détresse pareille. Je m'en souviendrai toute ma vie.

Notre Léa était toujours avec nous. On a du procéder au foeticide. D'ailleurs je n'aime pas ce mot aseptisé, je lui préfère le terme d'acte. On a donc du faire l'acte. Léa est partie vers 10h45 et elle est arrivée dans nos bras à 15h30. Le travail s'est passé sereinement. La poussée a par contre été terrible. Je me suis complètement effondrée quand l'équipe m'a dit que je pouvais y aller. Jamais je n'aurais pensé un jour ressentir une telle détresse, aller aussi loin dans les abysses de la douleur du coeur. J'ai été aux tréfonds de moi-même. La sage femme qui nous suivait m'a dit de laisser libre cours à ma tristesse. Que j'en avais le droit. J'étais tellement en miettes que j'arrivais plus à pousser correctement. Je me rappelle avoir la tête enfouie dans les bras de mon conjoint, les mains serrées dans les siennes. Il était mon seul repère, ma bouée de sauvetage. On a fait ça ensemble. Il n'a pas coupé le cordon. J'avais besoin de ses mains dans les miennes, il n'avait pas envie d'être celui qui le couperait. On peut le comprendre.

Léa est née sans un cri. Dès le moment où elle est née, je me suis sentie à nouveau apaisée. Nous l'avons tenue dans nos bras. C'était serein. C'était une rencontre entre des parents et leur enfant. Moi qui croyais que je voudrais la tenir des heures dans mes bras, en fait après 30 minutes, je n'avais plus envie de l'avoir. Je savais ce que ça faisait d'avoir un bébé en vie dans les bras. J'ai bien vu qu'elle n'était pas là. J'ai su que mon bébé était ailleurs. Nous avons rendu son corps aux sages femmes.

Au final, pendant cette journée, il y a eu de tout. Il y a eu de l'ombre et de la lumière. Il y a eu de la détresse et aussi des moments de joie sincère. On a ri. On a pleuré. On a vécu la journée la plus intense de notre vie. Une des plus tristes. Une des plus belles.

Dans 10 jours, ça fera 6 mois. Ces 6 derniers mois, franchement, on a géré. Confinement oblige, on a du tenir le coup pour notre aînée. Pas le temps de s'apitoyer sur notre sort, la vie a continué. J'ai ressenti très vite le besoin de passer à autre chose. J'ai eu envie d'un autre bébé tout de suite.

Avec le recul, je pense que je me suis préservée, que je n'étais pas encore prête à affronter complètement ce qui c'était passé. Je m'en suis beaucoup tenue aux faits. Je n'ai pas pensé à où était Léa. J'ai vécu un désert de croyance.

Aujourd'hui j'entame un nouveau processus. Je reprends les événements et je raconte l'histoire. Je prends le temps de faire une place à Léa. J'ai décidé qu'elle n'était dans aucun paradis. Dans aucun ciel. Dans aucune étoile. J'ai décidé qu'elle était mon enfant et qu'elle était dans mon cœur. Et je vous assure qu'à l'instant où j'ai réalisé ça, j'ai senti mon cœur doubler de volume. Une place pour ma grande, une place pour la petite. La même taille. J'ai deux enfants et je les aime autant l'un que l'autre. Il y en a simplement une qui prend plus de place dans ma maison que l'autre. Mais je pense à elles deux chaque jour quand elles ne sont pas avec moi. Léa m'accompagne car je la porte dans mon cœur.

J'ai aussi réalisé que j'étais changée. Moins naïve. Je sais maintenant pour l'avoir vécu que les retournements de situation, ça existe. Que je n'en suis pas à l'abri. Pendant un moment, j'ai vécu sur mes gardes, me demandant quelle serait la prochaine catastrophe. Maintenant, j'accepte que nous vivons au présent et qu'on ne sait rien de l'avenir.

Je suis aussi moins dans l'urgence d'avoir un troisième bébé. J'ai comme une envie de profiter de mon nouveau cœur de maman de deux enfants avant de le voir grandir à nouveau. J'ai envie de chérir encore un peu ma petite dernière.

"Les choses qui s'écroulent sont une sorte d'épreuve, mais aussi une sorte de guérison. On pense que l'essentiel est de venir à bout de l'épreuve, ou de triompher du problème, mais la vérité c'est que les choses ne sont pas vraiment résolues. Il y a réconciliation puis écroulement. On les réconcilie encore et elles s'écroulent de nouveau. C'est comme ça que ça marche. La guérison vient de ce qu'on laisse de l'espace pour que tout ça se produise : de l'espace pour le soulagement, pour la tristesse, pour la joie.“ (Pema Chödrön, extrait de Conseils d'une amie pour des temps difficiles).

J'ai vécu l'écroulement, la réconciliation. A l'échelle de ces 6 mois. A l'échelle d'une journée, celle de l'accouchement, où nous avons passé notre temps à laisser s'écrouler les choses, puis à les réconcilier, pour les voir s'écrouler de nouveau.

J'ai désormais la certitude que je suis capable de me relever de tout. Je n'ai plus peur de l'avenir.

Merci Léa pour ce cadeau.
Caroline

Maman d'une petite fille née sans vie en mars.
Julie4801
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Enregistré le : 17 juin 2020, 08:09

Re: Léa, l'écroulement, la guérison.

Message par Julie4801 »

Bonjour Caroline,

J’ai pris le temps de te lire...et les larmes sont montées!
Quelle belle écriture, et je le retrouve dans la manière d’affronter les choses.
Très terre à terre aussi, mais non sans peine 😔.
On fait partie des chanceuses qui ont eu un conjoint comme pilier apparement.
Notre couple en est sorti changé, tellement plus soudé!
Je vous souhaite de belles choses pour le futur 😊.

Je pense bien à vous.
Julie
Mam'ange de notre petit Lucas ❤️ né le 25/06/2020 à 29+5

Clara nous comble depuis le 25 Janvier 2022.
Caroline20032020
Messages : 14
Enregistré le : 29 juillet 2020, 16:26

Re: Léa, l'écroulement, la guérison.

Message par Caroline20032020 »

Coucou Julie,

Sacrée tartine que j'ai pondu ^^ je savais qu'écrire avait des vertus thérapeutique mais franchement je ne pensais pas que ça serait aussi salvateur. C'était le bon moment pour moi de poser mon histoire et mon ressenti par écrit. J'ai vidé ma tête pour ne garder que l' essentiel dans mon cœur.

Je suis contente de voir que je ne suis pas la seule à l'avoir vécu un peu de cette façon. Nos conjoints ont aussi écrit l'histoire.

Nos bébés sont avec nous à chaque heure, à chaque minute qui passe.

Douces pensées pour eux ❤️
Caroline

Maman d'une petite fille née sans vie en mars.
Sam'adorée
Messages : 22
Enregistré le : 10 septembre 2020, 15:11

Re: Léa, l'écroulement, la guérison.

Message par Sam'adorée »

Merci pour ce beau texte.
Tu es courageuse, nous le sommes toutes ici je crois, par la force des choses.
Je me reconnais lorsque tu parles d'attente,
De diagnostic, de pronostic.
Le monde qui vrille, l'espoir qui s'accroche,
Malgré tout les mauvais examens, malgré l'intuition qui elle, sait déja que c'est perdu.
Mais nous avons ce bébé la, dans notre ventre qui bouge tellement!! Comment y croire !!
Et la réalité ressurgit avec le pronostic implacable.
Alors nous restons forte pour ce bébé, l'accompagner avec tendresse jusqu'à la fin, restons fortes pour nos aînés, nos hommes.
Encore merci pour ton témoignage, il m'a vraiment touchée, et je te souhaite de toujours aller du mieux possible ( l'important )
Sam ❤️
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